'Bengue', vu du Sud, c'est le Nord. A lui seul, ce mot qu'on entend souvent en Afrique de l'ouest est synonyme d'Europe, et évoque les migrations qui ont porté les pas de ceux qui y cherchaient une vie meilleure. C'est à eux, et à leurs enfants de culture métissée, afropéens, que voulait rendre hommage Fidel Fourneyron, qui n'aime rien tant que faire voyager le jazz en le mariant aux musiques qui défient les oreilles d'ici, et aiguisent son appétit. C'est ainsi qu'il avait déjà arpenté, avec son gang d'amis jazzmen, les chemins de la santeria cubaine, incarnée par d'incroyables percussionnistes Havanais, sur l'excellent Que Vola ? (No Format, 2019).Cette fois ci, à l'invitation du festival Jazz sous les Pommiers où il poursuit une longue résidence, il allait se frotter aux musiques d'Afrique de l'Ouest, dans le même esprit de rencontre, de goût pour les croisements. L'idée: proposer à de jeunes et chevronné.e.s auteur.trice.s de la diaspora afro-caribéenne d'écrire des textes sur la migration, les exils, et faire entendre d'autres mots que ceux que les politiques européens exploitent comme autant de bombes à retardement. Lui se chargerait de les mettre en musique, avec pour renfort des musiciens originaires d'ici et d'ailleurs, prêts à dialoguer dans une joyeuse curiosité. Le son du bois le fascinait, et les balafons des soeurs Ophélia et Mélissa Hié, perpétuant les riches traditions musicales burkinabées, se sont imposés à lui. Avec l'envie qu'ils rencontrent le marimba de Vassilena Serafinova, réunissant ainsi deux instruments liés par une lointaine et profonde parenté. Ce soubassement mélodique et rythmique lui offrait dès lors un terrain de jeu idéal pour instaurer une discussion avec son trombone, et installer un groove plus féminin dans sa sensibilité, plus solaire dans ses climats (écoutez donc "Molengue ti mawa" pour vous en convaincre). Il allait l'associer à celui du contrebassiste et infatigable improvisateur Thibaud Soulas, qui autrefois lui ouvrit les chemins de Cuba. Pour compléter l'équipage de ce vaisseau inédit, le violoniste Clément Janinet, qui a trempé son instrument dans les couleurs des cordes maliennes (écoutez plutôt Foyer), et la voix d'alto d'Emma Lamadji biberonnée au gospel, forgée aux rythmes de l'afrobeat, et tamisée par son compagnonnage chantant avec la diva malienne Oumou Sangaré. Autant le dire, cette réunion de personnalités musicales invitait en elle-même aux voyages, et Fidel Fourneyron, en capitaine sensible, allait en aiguillonner les possibilités. Depuis sa création "La Chanson de Renart" en forme d'opéra, le tromboniste a pris goût à travailler avec des auteurs, passeurs de mots, d'histoires et d'idéaux. Les textes de 'Bengue', chacun à leur manière, résonnent comme des appels qui propagent les douleurs, les joies et les espoirs des héritiers d'une longue et tortueuse histoire, que Fidel Fourneyron a habillés de couleurs et de climats singuliers avec cet orchestre tout aussi métissés que leurs auteurs. Qu'il s'agisse de Fiston Mwanza Mujilla (auteur, entre autres, de "Tram 83" qui signe ici le détonnant "Nous résisterons au déluge"), de Penda Diouf dont il avait adoré le spectacle Pistes (on lui doit ici "Mes pas sont des passerelles"), ou encore du poète haïtien James Noël ("Anmwe"), dont le travail poétique dans le recueil "La migration" des murs avait fait germer chez Fidel l'étincelle qui donna naissance à l'idée de 'Bengue'. A ceux là s'ajoutent le poème de Vhan Holsen Dombo ("Kotiko Koko") qui, inspiré d'une comptine d'Afrique centrale, rejoint le rythme scandé qui fait la marque de fabrique de son auteur, ou la douceur nostalgique d'Ho'o lo' signée du chanteur Camerounais Blick Bassy. Sans oublier la science et la licence poétique de Djeudjoah ("Foyer"). La voix d'Emma Lamadji donne vie à la quasi-totalité des textes qui composent 'Bengue'. Comme un alter ego du trombone, dont elle est le meilleur compagnon de jeu. La chanteuse n'a d'ailleurs pas seulement prêté sa voix, puisqu'elle signe aussi les paroles des deux morceaux qui ouvrent et referment l'album. Ils font résonner la musique du sango de Centrafrique, sa langue maternelle, et "I Goué Na Dawan" - premier single à paraître - résume à merveille, dans ses derniers vers, l'esprit du disque tout entier. 'Bengue', c'est d'abord un voyage, un périple dans des imaginaires qui ne demandent qu'à être partagés. Il ne vous reste plus qu'à vous laisser porter.